- La Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude
- Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel sur le principe du non bis in idem
- Qualification de la fraude fiscale et de la fraude fiscale aggravée
- Sanctions pénales en matière de la fraude fiscale et de la fraude fiscale aggravée
- Qualification du blanchiment de fraude fiscale et de blanchiment aggravé de fraude fiscale
- Le fisc ne peut fonder l’imposition que sur des pièces obtenues légalement
- L’autorité de la chose jugée dans un dossier de fraude fiscale
La Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude
La Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude est manifestement venue bousculer les pratiques des spécialistes de la procédure fiscale. Habitués à transiger dans les dossiers complexes et a fortes conséquences financières avec l’administration fiscale, les praticiens voient désormais une nouvelle menace planer. En effet, l’administration fiscale est désormais tenue de communiquer automatiquement au Procureur de la République les dossiers pour lesquels d’une part, les montants réclamés sont supérieurs à 100.000 euros et d’autre part, des majorations de 100% pour opposition à contrôle fiscal ou des majorations de 80% pour activité occulte, abus de droit, manœuvres frauduleuses, dissimulation de prix stipulé dans un contrat, utilisation de la fiducie à des fins de libéralité, non déclaration des avoirs détenus à l’étranger ou encore imposition forfaitaire sur les signes extérieurs de richesse en application de l’article 168 du Code général des impôts, sont appliqués par le service vérificateur. Les dossiers seront également transmis automatiquement dans l’hypothèse de majorations de 40% pour manquement délibéré, non déclaration dans les 30 jours d’une mise en demeure ou abus de droit, lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application, le vérifié a déjà fait l’objet d’un contrôle et s’est vu appliquer des majorations supérieures à 10% ou une plainte pénale de l’administration fiscale.
Ayant quasiment perdu tout espoir sur l’application du principe non bis idem, les spécialistes de la procédure fiscale, garants de l’État de droit et des libertés fondamentales, sont désormais confrontés au cumul des sanctions fiscales et pénales.
Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel sur le principe du non bis in idem
- En date du 23 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré que le cumul dessanctions pénales et fiscales était conforme à la Constitution en assortissant cette décision de trois réserves d’interprétation:
Le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues, - Le juge pénal peut éventuellement décider de décharger l’impôt,
- Le cumul suppose que l’infraction relève d’une certaine gravité.
C’est ainsi que le Conseil constitutionnel, dans deux décisions, (n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016), a jugé que les dispositions des articles 1729 et 1741 du Code général des Impôts, au même acte de soustraction à l’impôt, ne sont applicables « qu’au cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt » « ou pour des « manquements les plus graves ».
Le Conseil constitutionnel a énoncé que la gravité de la fraude pouvait résulter des montants des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.
Le législateur étant resté muet, l’identification des infractions « les plus graves » se voit, en pratique, confuse et sinueuse.
C’est dans ce contexte que les dossiers de fraude fiscale transmis à l’autorité judiciaire ont doublé entre 2018 et 2019, passant à 823 dossiers à 1678 dossiers communiqués.
Qualification de la fraude fiscale et de la fraude fiscale aggravée
Les dispositions de l’article 1741 du CGI définissent la fraude fiscale par quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au
paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables. Ce même article détermine la fraude fiscale aggravée par des faits ayant été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen,
1° Soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger,
2° Soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger,
3° Soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents, au sens de l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification,
4° Soit d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger,
5° Soit d'un acte fictif ou artificiel ou de l'interposition d'une entité fictive ou artificielle.
Sanctions pénales en matière de la fraude fiscale et de la fraude fiscale aggravée
FRAUDE FISCALE – PERSONNES PHYSIQUES
Jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, Amende de 500.000 euros maximum, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.
FRAUDE FISCALE – PERSONNES MORALES
Amende de 2.500.000 euros maximum, dont le montant peut être porté à un multiple du produit tiré de l’infraction
FRAUDE FISCALE AGGRAVEE– PERSONNES PHYSIQUES
Jusqu’à 7 ans d’emprisonnement, Amende de 3.000.000 euros maximum, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.
FRAUDE FISCALE AGGRAVEE – PERSONNES MORALES
Amende de 15.000.000 euros maximum, dont le montant peut être porté à un multiple du produit tiré de l’infraction.
Qualification du blanchiment de fraude fiscale et de blanchiment aggravé de fraude fiscale
Les dispositions de l’article 324-1 du CPP définissent le blanchiment de fraude fiscale comme le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. Le blanchiment aggravé de fraude fiscale est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle comptable, financière, juridique, ou en bande organisée.
BLANCHIMENT DE FRAUDE FISCALE – PERSONNES PHYSIQUES
Jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, Amende de 375.000 euros maximum ou la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
BLANCHIMENT DE FRAUDE FISCALE – PERSONNES MORALES
Amende de 1.875.000 euros maximum, ou multiple de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
BLANCHIMENT AGGRAVE DE DE FRAUDE FISCALE– PERSONNES PHYSIQUES
Jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, Amende de 750.000 euros maximum ou multiple de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
BLANCHIMENT AGGRAVE DE DE FRAUDE FISCALE – PERSONNES MORALES
Amende de 3.750.000 euros maximum, ou multiple de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
Le fisc ne peut fonder l’imposition que sur des pièces obtenues légalement
Il est désormais de jurisprudences constantes que les pièces et documents utilisaient par le fisc, dans le cadre d’une procédure fiscale, doivent avoir été obtenus légalement (CE, sect.6 décembre 1995 n°126826). Dans la présente décision, le Conseil d’État réaffirme le principe, selon lequel le fisc ne saurait se prévaloir, pour établir une imposition de pièces ou documents obtenus par une autorité administratives ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.Il revient donc au juge de l’impôt de s’assurer que le fondement de l’imposition ne repose pas sur l’exploitation, directe ou indirecte, des pièces et documents obtenus de façon irrégulière (CE, 9e et 10e ch., 21 juin 2022, n°446421).
L’autorité de la chose jugée dans un dossier de fraude fiscale
Le droit pénal fiscal électrisait déjà les acteurs du contentieux, nombreuses étaient les interrogations des pénalistes et des fiscalistes sur l’articulation de ces deux procédures visant la même infraction.La primauté de la décision corroborée avec l’autorité de la chose jugée plaçait le juge répressif comme le véritable juge de la fraude fiscale cantonnant son homologue, le juge de l’impôt, à un simple spectateur du litige. Il convient de rappeler que les faits constatés définitivement par le juge répressif et constituant le support nécessaire de ses décisions ne peuvent pas faire l’objet d’une interprétation contraire par le juge administratif et ce, au nom de la « chose jugée » (CE, 10 ch., 24 décembre 2020, n°436718). Tout comme le juge civil, le juge de l’impôt est lui aussi dicté par la vision souveraine du juge pénal. (CE, Section, 12 juillet 1929, Sieur Vesin, n° 81701, p.716). Le juge administratif, tout en rappelant la décision du Conseil d’État susvisée (CE, 10 ch., 24 décembre 2020, n°436718), affirme qu’il n’est pas tenu par l’autorité de la chose jugée lorsque la relaxe repose sur des faits qui ne sont pas établis ou sur un doute subsistant quant à leur réalité (CAA MARSEILLE, 21 sept. 2023, n°21MA02775).